L’année 994 est connue, de par des enregistrement dans de vieux troncs  d’arbres, pour présenter une anomalie positive de la concentration atmosphérique en 14C. Cet isotope du carbone, utilisé pour la datation des reste récents (<50 000 ans) d’êtres vivants, est radiogénique, c’est-à-dire produit par l’interaction entre les molécules de la haute atmosphère et le vent solaire.

Les éruptions solaires sont des éjections brèves (quelques minutes en général) de matière ionisée à la surface du soleil, qui provoquent un renforcement intense du vent solaire.  Elles sont à l’origine notamment des aurores polaires. Le pic de 14C de l’année 994 peut tout à fait être dû à une éruption solaire. Mais quelle trace peut-on avoir d’un phénomène qui s’est produit il y a plus 1000 ans ? Dans les traces écrites datant de cette époque ! Voilà l’idée géniale de cette équipe japonaise pour le moins originale, qui rassemble des astrophysiciens et des chercheurs en littérature, en histoire et en linguistique médiévales.

Leur étude a consisté à chercher dans des documents saxons (allemands), irlandais, et coréens datant de 994 des témoignages d’aurores polaires. Et ça a marché ! Dans ces trois régions, on mentionne notamment :

  • En saxe, dans un texte en latin : « In sequenti anno in gallicantu primo lux ut dies ex aquilone effulsit, & unam sic manens horam, undique celo interim rubente, evanuit ». Soit en français : « L’année suivante, au premier chant du coq, une lumière brilla du Nord comme si c’était le jour, et elle dura une heure ; partout le ciel était rouge ; puis elle disparut ».
  • En Irlande, dans un texte en moyen irlandais : « Tadbhsiu ingnadh aidchi feile Stefan, combo croderg in nemh« . Soit en français : « Une apparition inhabituelle au soir de la St-Etienne, et le ciel était rouge-sang ».
  • En Corée, dans un texte en chinois : « 成宗…十一年十二月夜天門開 ». Soit en français : « La 11e année du règne de l’empereur Chengzong, le 12e mois, pendant la nuit, les portes du ciel ouvertes ». On sait que c’est une description courante des aurores boréales en Chine au Moyen Âge.

Le site coréen est à une latitude particulièrement basse (35°N), et des aurores polaires sont rarissimes à ces latitude (bien que le champ magnétique à cette époque fût localement un peu différent du champ magnétique actuel, et plus propice qu’actuellement à une observation d’aurores polaires). Cela plaide en faveur d’une éruption solaire particulièrement intense, permettant tout-à-fait d’expliquer le pic de 14C de cette année-là.

Un pied de nez à ceux qui pensent que sciences « dures » et lettres sont irréconciliables !

 

L’étude a été acceptée dans Solar Physics, et n’est pas encore publiée, mais le manuscrit est disponible ici.

Hisashi Hayakawa, Harufumi Tamazawa, Yurina Uchiyama, Yusuke Ebihara, Hiroko Miyahara, Shunsuke Kosaka, Kiyomi Iwahashi, Hiroaki Isobe, accepté. Historical Auroras in the 990s: Evidence for Great Magnetic Storms. Solar Physics